Le vinaigre balsamique de Modène contrefait

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Poursuivons notre enquête sur la tromperie des consommateurs par la falsification des produits alimentaires à grande échelle, inscrite dans le programme génétique de l’industrie agro-alimentaire. Aujourd’hui nous abordons le dossier du vinaigre balsamique de Modène, un immense succès commercial qui s’appuie sur le droit de dire n’importe quoi au sujet de ce qui n’est pas réglementé. Mais n’allons pas trop vite…

Au commencement donc était le vinaigre balsamique traditionnel de Modène -et d’Emilie Romagne-, qui pendant des siècles ne porta même pas ce nom. Elevé à partir des cépages de Lambrusco, Sangiovese, Trebbiano, Albana, Ancellotta, Fortana et Montuni (5), natifs de ce terroir mirifique d’Emilie Romagne qui produit le Parmesan et le jambon de Parme, l’origine de ce vinaigre de moût de raisin cuit et non de vin se perd dans les âges. L’histoire évoque les romains, puis dès 1046 un empereur du Saint Empire Romain Germanique qui reçoit en cadeau du marquis de Toscane un “vinaigre absolument parfait”(6), puis l’apparition des mentions « demi-balsamique » et « balsamique fin » dans les archives du duc d’Este en 1747, qui correspondent à l’actuel Vinaigre Balsamique de Modène IGP (Aceto Balsamico di Modena) et au Vinaigre Balsamique Traditionnel de Modène AOP (Aceto Balsamico Tradizionale di Modena DOP) (6). La première appellation Aceto balsamico tradizionale del Modenese est attribuée à Francesco Aggazzotti dans une correspondance de 1860 avec un certain Pio Fabriani. Le premier agrément officiel quant à sa production remonte à 1933 (7).

Une tradition millénaire a longtemps prévalu, culture du secret jalousement conservé dans les précieux greniers où se concentrait ce nectar unique. On ne l’a nommé que tardivement, au 18ème siècle, car ce vinaigre n’avait pas de concurrent sur le marché qui pût tromper l’honnête habitant d’Emilie Romagne, nourri dès l’enfance de sa saveur aigre douce et de sa profondeur aromatique. Le concurrent potentiel recherchait l’excellence même qui pût disputer la faveur des gourmets, aussi n’en disait-on que très peu sur les arcanes de sa naissance. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’”aceto balsamico tradizionale di Modena” est toujours un bijou de gastronomie dont la description tient en quelques mots: depuis la vendange manuelle en septembre et octobre de cépages locaux, notamment Lambrusco (rouge) et Trebbiano (blanc), une réduction du moût de ces raisins pendant 30mn à une température d’au moins 80°, un élevage par transvasements dans une batterie de 3 à 7 fûts de volume décroissant et d’essences spécifiques (mûrier, chataîgnier, cerisier, genièvre, chêne) (11), à 75% de leur capacité, à l’air libre des greniers, exposé à la chaleur des étés et la rudesse des hivers régionaux… et du temps, au moins 12 années, pour l’”affinato”, au moins 25 années pour l’”extra vecchio” (8) (9), avant l’analyse organoleptique par le consortium des fabricants, ultime étape qui précède l’autorisation de commercialisation du condiment, un vinaigre de moût -et non de vin-, fruit d’une double fermentation alcoolique puis acétique et d’un patient vieillissement.

Il faut 150kg de raisin et au moins 12 ans pour obtenir 100ml de ce condiment dans son flacon de verre en forme de tulipe renversée, au pied rectangulaire, qui porte le sceau du consortium et sur le col une étiquette blanche (affinato) ou or (extra vecchio) qui distingue les plus de 12 ans d’âge des plus de 25 ans d’âge. Le produit est d’exception, rare, cher (500 à 1500 € le litre) et protégé des vélléités d’expansion industrielle par son cahier des charges:  la production maximale ne peut excéder 160 quintaux par hectare de vignoble en culture spécialisée, avec un rendement maximal en moût non supérieur à 70%. (8) (10). C’est à ce prix qu’on obtient ce bouquet caractéristique, complexe, pénétrant et persistant, à l’acidité agréable et harmonieuse, ce goût aigre-doux et équilibré, vif, velouté, unique…

Sans doute, ce jus divin a-t-il toujours cohabité en Emilie Romagne avec une version simplifiée, plus accessible du vinaigre balsamique de Modène, par un mélange dans des proportions diverses de moût cuit et de vinaigre de vin issus des cépages du terroir, vieilli quelques semaines à quelques mois, avant d’agrémenter la cuisine des ménages de sa saveur aigre douce, contrepoint indispensable des fromages, légumes, et viandes de la région.

Mais dès la deuxième moitié du 20ème siècle, l’ouverture des marchés alimentaires a permis la diffusion internationale des produits traditionnels à de nouveaux consommateurs non avertis, ainsi que la commercialisation de produits me-too, exemptés de toute limite sur l’utilisation des terminologies, et de toute contrainte sur l’authenticité de leurs produits. Ainsi les “vinaigres balsamiques “ont-ils commencé d’inonder les salades de toute l’Europe et des Etats Unis dès les années 1980, grâce au charme de “l’italian sounding”, une référence exotique, gourmande, qui éveille chez le consommateur des rêves de voyage et de gastronomie. En 1977, Chuck Williams, le fondateur de Williams Sonoma, importa aux Etats Unis pour la première fois du vinaigre balsamique de Modène. Le succès fut immédiat (12) et des concurrents apparurent bientôt aux USA et ailleurs, usant de la liberté d’usage d’une appellation non réglementée pour répandre sur le marché des tonnes de vinaigre au caramel. Les chinois, les allemands, les canadiens, les grecs fabriquent et vendent aujourd’hui encore un liquide qu’ils appellent “vinaigre balsamique”, même s’il est fait à partir de vinaigre de riz, ou de n’importe quel cépage, de caramel pour remplacer le moût cuit et de sulfites pour le conserver, car le terme “vinaigre balsamique” n’est pas protégé, il ne correspond pas à l’appellation précise sur laquelle porte aujourd’hui une réglementation spécifique. Pourt autant les consommateurs qui goûtent cette liqueur sucrée et marron avec plaisir, sont épris de l’idée qu’il s’agit de “vinaigre balsamique”, c’est à dire d’un produit italien, de terroir, de tradition, et de bonne facture, et non d’un vulgaire vinaigre sucré. Le symbolique a sa part dans le prix que les hommes accordent aux “bonnes” choses, et c’est sur ce malentendu et cette ambiguïté que se fonde la puissance des agro-pirates qui sont d’abord des illusionnistes.

Dans notre monde industrialisé, où la falsification des choses est aussi systématique que la manipulation verbale, les partisans de l’intégrité font de la résistance à la mystification, ce sont des artisans amoureux de leur produit, fiers de leur sience, le noyau imputrescible d’humanité non asservie au profit, désespérément arrimée au “réel” comme fondement de la valeur. Ces artisans continuent de fabriquer LE véritable “Aceto Balsamico Tradizionale di Modena”, et enragent que n’importe quel margoulin tire avantage de ce nom qui doit tout à leur art. C’est de cette veine que sont nées les appellations d’origine contrôlées, nationales, puis dites protégées, quand l’union européenne s’est emparée de la question. Pour contrer les jeux de mots de l’industrie, on commença d’estampiller les noms des produits, et d’y attacher la réalité des choses qu’ils désignent, dans un cahier des charges qui précise l’origine des ingrédients, leur nature, les procédés mis en oeuvre pour leur transformation, leur élaboration.

Le processus qui remplace le dictionnaire comme outil de désignation des choses par les mots, par un cahier des charges et un dispositif institutionnel complexe de certification s’est mis en place au cours du 20ème siècle pour pallier à la fraude systématique des agents économiques ivres de profit, dans une société où la grande industrie s’est exonérée des obligations de qualité que les corporatismes et les échanges commerciaux bornés avaient su contenir au cours des siècles précédents.

L’appellation d’origine contrôlée est un dispositif qui caractérise un produit à partir d’un milieu physique et biologique combiné à une communauté humaine traditionnelle, à travers un cahier des charges qui délimite l’origine géographique des ingrédients, et le mode de production. Il s’agit d’abord de protéger un produit en désignant ses caractéristiques ontologiques, contre les tentations de versions déviantes par des producteurs peu scrupuleux, grâce au contrôle sur le respect des origines des ingrédients et des modes opératoires; il s’agit ensuite d’empêcher la concurrence déloyale des contrefaçons par des fabricants de tous horizons (14). L’AOC protège d’abord le consommateur contre les risques d’abus de toutes origines, et ensuite le fabricant intègre contre l’agro-piraterie sous toutes ses formes.

En 1967 est créé le consortium des fabricants du vinaigre balsamique traditionnel de Modène (ABTM), une association professionnelle visant à promouvoir et protéger un produit multi séculaire. En 1987 apparait le consortium des fabricants de vinaigre balsamique traditionnel d’Emilie Romagne.

EN 1977 une DOC (Denominazione Origina Controlata) réservait au vinaigre traditionnel l’adjectif “naturel” tandis que les productions industrielles se voyaient reléguées au rang de “non naturelles”.

Le 5 avril 1983 un décret ministériel italien introduit la notion de “traditionnel” et distingue le vinaigre balsamique de Modène et d’Emilie Romagne,  de la version industrielle.

L’Appellation d’Origine Contrôlée a été obtenue en 1986 pour le vinaigre balsamique de Modène et d’Emilie Romagne (15).

Enfin le 17 avril 2000 le Conseil de l’Europe avec le règlement N°CE 813/2000 attribue une DOP (“Denominazione di Origine Protetta”) (AOP en français) aux vinaigres balsamiques traditionnels de Modène et d’Emilie Romagne (13) (15).

Cette appellation garantit et protège désormais le produit original, unique et authentique ainsi que son producteur de toute contrefaçon. Mais la précision terminologique “vinaigre balsamique traditionnel de Modène” ne protège pas le consommateur non averti des tournures sémantiques non réglementées que “parle” le marché: vinaigre balsamique, velours de balsamique, perles de balsamique, etc sont libres de droit.

En parallèle les fabricants de vinaigre balsamique de moindre qualité, mélange de moût de raisin cuit et de vinaigre de vin entament une démarche destinée à leur assurer le monopole d’exploitation d’un produit au cahier des charges simplifié, excluant la référence à l’origine des ingrédients, mais réservant aux entreprises implantées dans la région de Modène le droit d’utiliser la dénomination “Vinaigre balsamique de Modène”.

« Pour la première fois le 25 Mars 1933 le Ministre de l’Agriculture Giacomo Acerbo reconnaît par un acte officiel, la « séculaire et caractéristique industrie du Vinaigre Balsamique du Modénais ». Trente ans plus tard, en 1965, sur le Journal Officiel est publié un cahier des charges relatif aux « Caractéristiques de composition et aux modalités de préparation du Vinaigre Balsamique de Modène ». En 1994, les producteurs s’activent pour améliorer le cahier des charges de production et pour sauvegarder l’utilisation correcte de l’appellation Vinaigre Balsamique de Modène dans le commerce et à dans la consommation.

Enfin  en 2009, après un long cheminement, la Commission Européenne insère l’appellation Vinaigre Balsamique de Modène dans le registre des productions IGP » (16).

L’indication géographique protégée est un label européen accordé au produit désigné comme “aceto balsamico di Modena” en 2009 (2), qui vise à circonscrire l’emploi du terme aux vinaigres qui sont assemblés et élaborés dans la région d’Emilie Romagne. Ce label sert les intérêts des industriels implantés dans l’aire géographique, mais comme il n’implique pas l’utilisation du terroir pour la production des ingrédients, ni les raisins, ni le vinaigre ni le moût qui en sont tirés, mais seulement quelques règles minimales sur la proportion respective de moût (minimum 20%), de vinaigre (maximum 80%) et de caramel (maximum 2%) dans le mélange, ainsi que la localisation exigée pour leur assemblage, ce label ne réfère pas à proprement parler à un produit, à la différence de l’AOP sur le traditionnel, mais plutôt attribue aux industriels implantés dans la région le monopole d’exploitation du nom qui porte la valeur dans l’esprit du public: “vinaigre balsamique de Modène”. Il est vrai que les allemands et les grecs ont tenté d’empêcher la création de cette IGP (15), au motif que des fabricants allemands et grecs vendaient des liquides appelés “vinaigre balsamique de Modène” depuis plus de 5 ans, et qu’ils jugeaient que ce terme devait être réduit à un générique (sic), montrant là encore la légereté avec laquelle les puissances économiques souhaitent traiter les choses, comme si elles ne se référaient à aucune nature concrète qui permette d’en tracer les contours, et de limiter les adultérations dont elles peuvent être l’objet.

Le produit désigné par l’IGP “vinaigre balsamique de Modène” recouvre une variété de qualités très diverses qui n’aide qu’assez peu le consommateur pris entre l’inaccessibilité du vinaigre traditionnel, évoluant entre 500 € et 1500€ le litre, et la tromperie autorisée des “vinaigres balsamiques” de tout poil. C’est un entre deux, qui ne récompense pas l’effort des meilleurs fabricants dont les vinaigres cohabitent avec ceux de simples opportunistes, qui autorise une altération de la qualité du vinaigre balsamique de Modène par l’ajout d’additifs et de conservateurs, et induit en erreur le consommateur qui croit que les labels servent à certifier l’intégrité des produits; enfin, qui garantit seulement le fléchage des profits vers des industriels nationaux plutôt qu’au tout venant. C’est quelque chose, mais c’est peu.

Fabrication de vinaigre balsamique de Modène

Le Vinaigre Balsamique de Modène (Aceto Balsamico di Modena) est obtenu à partir de moût de raisin partiellement fermentés et/ou cuits et/ou concentrés.
Le raisin provient exclusivement des cépages de Lambrusco, Sangiovese, Trebbiano, Albana, Ancellotta, Fortana et Montuni. En revanche, les raisins peuvent être importés de toute origine géographique.
Au moût sont ajoutés du vinaigre de vin, dans la mesure minimum de 10%, et une part de vinaigre vieilli d’au moins 10 ans.

Le pourcentage minimum de moût de raisin équivaut à 20% de la quantité totale du produit qui doit être transformé. Il peut lui-même être fabriqué hors Emilie Romagne. La concentration continue jusqu’à ce que la masse initiale du moût ait atteint une densité d’au moins 1.240 à la température de 20°C. Non seulement les moûts -exclusivement cuits et concentrés- doivent venir des cépages cités plus haut, mais en plus ils doivent avoir une acidité totale minimale de 8g/kg et un extrait sec net minimal de 55 g/kg. Pour la stabilisation colorimétrique, il est possible d’ajouter du caramel jusqu’à un maximum de 2% du volume du produit fini. L’adjonction de toute autre substance est interdite (17).

L’élaboration du Vinaigre Balsamique de Modène a lieu selon une méthode classique d’acétification impliquant l’utilisation de colonies bactériennes sélectionnées ou par acétification lente en surface ou lente avec des copeaux. La phase suivante est appelée affinage et dans tous les cas, l’acétification et l’affinage sont effectués dans des récipients en bois noble, tels que le chêne rouvre, le châtaignier, le chêne, le mûrier et le genévrier. La période minimale d’affinage est de 60 jours à partir du moment où les matières premières, mélangées entre elles dans les bonnes proportions, commencent leur transformation. Après l’affinage, le produit obtenu subit un examen analytique et organoleptique de la part d’un groupe de techniciens et de dégustateurs experts : c’est l’étape ultime à franchir pour que le produit puisse être certifié comme Vinaigre Balsamique de Modène.

Après 60 jours d’affinage dans des cuves en bois, le Vinaigre Balsamique de Modène peut être soumis à une période ultérieure de vieillissement à l’intérieur de barriques, barils ou d’autres récipients en bois de plus petites dimensions par rapport à ceux qui contiennent le produit plus « jeune ». Si cette phase se prolonge au-delà de trois ans, le produit fini sera classifié comme « vieilli » (Invecchiato).

Le Vinaigre Balsamique de Modène ainsi obtenu est inséré dans des récipients en verre, en bois, en céramique ou en terre cuite, de différentes capacités (17).

Sur chaque emballage est présente l’appellation Aceto Balsamico di Modena (Vinaigre Balsamique de Modène), accompagnée de l’Indication Géographique Protégée. Si le produit a été vieilli pendant une période supérieure à trois ans, la mention Invecchiato figure également sur l’emballage. Aussi, les producteurs membres du Consortium de Tutelle peuvent afficher dans l’étiquette le logo du Consortium.

Le cahier des charges de production du Vinaigre Balsamique de Modène IGP prévoit que l’assemblage des matières premières, l’élaboration, l’affinage et/ou le vieillissement dans des récipients en bois noble aient lieu obligatoirement dans les provinces de Modène et Reggio Emilia. Le produit fini peut par contre être conditionné même en dehors de la zone géographique d’origine (17).

“À son tour, le Vinaigre Balsamique de Modène commercialisé avec les caractéristiques énumérées plus haut peut être divisé en deux types, selon la période de vieillissement. On parle simplement de Vinaigre Balsamique de Modène lorsque la période de vieillissement est inférieure à trois ans (avec un minimum de 60 jours). Par contre, lorsque la période de vieillissement dépasse les trois ans, l’appellation utilisée est Aceto Balsamico di Modena Invecchiato” (18).

Le “vinaigre balsamique de Modène” représente aujourd’hui une production de 90 millions de litres par an pour un chiffre d’affaires de la production de 400 Millions d’euros (1) Cela permet de comprendre l’enjeu d’un label qui autorise l’importation de raisins non italiens, aux fins d’une production de grande ampleur, qui dépasse largement les capacités géographiques de la région productrice originelle. Que gagne le consommateur au label IGP? Une protection minimale vis à vis des produits non réglementés, mais l’exposition à une grande variété de qualités, assortie de prix variables, parmi lesquels il lui faut apprendre à discriminer: à l’aide de l’étiquette qui porte la liste des ingrédients et grâce à cet atout ultime que la nature a offert sous condition que nous l’éduquions et le développions: un palais.

Quant aux “vinaigre de balsamique”, “velours de balsamique”, “perles de balsamique”, “ketchup de balsamique” et autres inventions du marketing agro-alimentaire, ils ne répondent à aucun cahier des charges réglementaire, les termes recouvrent des réalités diverses en matière d’origine des vinaigres, d’ajouts d’additifs notamment d’arôme de caramel, et de sulfites. Ces produits prospèrent dans la jungle du doux commerce, où l’usurpation est par défaut autorisée, où sévit cette liberté qui fait de l’industriel un renard libre dans le poulailler libre du marché.

Le cas du vinaigre balsamique est exemplaire de la mise en oeuvre de la logique industrielle agro-alimentaire. Celle-ci se caractérise par une démarche “pseudo culturelle”, une ruse d’apparence pédagogique, qui substitue aux usages et aux savoir faire culinaires qui se transmettaient dans les familles de nouveaux produits, se jouant de l’ambiguïté des termes empruntés au répertoire traditionnel. Elle induit la confusion chez le consommateur en multipliant les références, qui sous l’apparence de la diversité et du choix, n’offrent souvent que des saveurs simplifiées et des nourritures altérées: sucrées, salées, grasses, fumées… L’atout majeur de la stratégie industrielle sur la fabrication artisanale est son emploi illimité de la séduction rhétorique par la publicité, le lobbying, l’ingiénérie sociale, qui lui permet de convaincre le consommateur de l’excellence de son produit par des simulacres jouant sur l’image, le slogan, le discours, l’étiquette. La piraterie agro-alimentaire utilise le langage comme appât, et s’appuie sur les croyances des consommateurs concernant ce que les mots sont aux choses, comme d’un levier pour mieux leur vendre des pastiches.

On a vu comment l’élaboration de labels et de normes peuvent servir ces mêmes objectifs de confusion, en mettant au même niveau l’”appellation d’origine protégée” (AOP) qui garantit l’origine des ingrédients et l’authenticité du process de fabrication, tandis que l’”indication géographique protégée” (IGP) ne concerne pas le terroir mais l’implantation des industriels et des seuils pour les proportion des ingrédients. Ce stratagème manipule les règles elles-mêmes, tout en bénéficiant du crédit que leur octroie le consommateur confiant dans ses institutions; il circonscrit leurs critères et leur champ d’application, de sorte que les règles contiennent en elles-mêmes le moyen de n’être pas contraint, tout en revendiquant l’assujetissement à un code de conduite, qui a les apparences de la rigueur. S’il faut reconnaître qu’il y a du génie dans l’art de tromper, la démystification offre le plaisir substantiel du contact retrouvé avec la réalité. Si nous goûtons le vinaigre balsamique de Modène, ne nous trompons pas de signature!

Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur

L’Institut d’Hygiologie met à la disposition de chacun les connaissances les plus actuelles sur le plan scientifique, et permet ainsi aux personnes de décider en toute connaissance de cause pour leur santé. il vous suffit d’adhérer à l‘Institut d’Hygiologie pour télécharger gratuitement l’ouvrage du Dr Claire Condemine-Piron “Nos aliments aujourd’hui, entre contes et contrefaçons“, recueil d’articles sur les aliments et leurs transformations modernes.

Références bibliographiques

1/ http://www.consorziobalsamico.it/consortium/donnees-economiques/?lang=fr

2/ RÈGLEMENT (CE) No 583/2009 DE LA COMMISSION du 3 juillet 2009

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32009R0583

3/RÈGLEMENT (CE) N o 510/2006 DU CONSEIL  du 20 mars 2006

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32006R0510

4/RÈGLEMENT (CE) No 813/2000 DU CONSEIL du 17 avril 2000 complétant l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 de la Commission relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement (CEE) no 2081/92 AOP  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2000:100:0005:0006:FR:PDF

5/ cahier des charges de AB tradizionale di Modena: file:///C:/Users/Claire.4CE-INDUSTRY-NB/AppData/Local/Packages/Microsoft.MicrosoftEdge_8wekyb3d8bbwe/TempState/Downloads/IT_0017_1565_SUM_FR%20(1).pdf

6/ http://www.consorziobalsamico.it/vinaigre-balsamique-de-modene/histoire-abm/?lang=fr (registres des Cantine Segrete Duccali de 1747)

7/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Aceto_Balsamico_Tradizionale_di_Modena

8/ http://www.acetobalsamicotradizionale.it/download/FR_disciplinare_DOP_reg.CE_813-2000.pdf

9/ http://www.balsamic.ch/info-produits/balsamique-aop-et-igp-quelles-differences/

10/file:///C:/Users/Claire.4CE-INDUSTRY-NB/AppData/Local/Packages/Microsoft.MicrosoftEdge_8wekyb3d8bbwe/TempState/Downloads/IT_0017_1565_SUM_FR%20(3).pdf

11/ https://vinaigre-balsamique.com/smartblog/6_fabrication-balsamique-traditionnel.html

12/ https://www.seriouseats.com/2014/05/everything-you-need-to-know-guide-to-balsamic-vinegar.html

13/ https://it.wikipedia.org/wiki/Aceto_Balsamico_Tradizionale

14/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Appellation_d%27origine_protégée

15/ http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32006R0510

16/ http://www.consorziobalsamico.it/vinaigre-balsamique-de-modene/histoire-abm/?lang=fr

17/ https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32009R0583

18/ http://www.consorziobalsamico.it/vinaigre-balsamique-de-modene/caracteristiques-organoleptiques/?lang=fr