Différencier l’adaptation de la dénaturation physiologique

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Adaptation par l’entraînement versus stimulation pharmacologique de l’organisme

nageuse de brasse papillon

La progression de la performance sportive d’un individu s’appuie sur des éléments physiologiques, techniques et tactiques. L’adaptation de l’organisme à l’effort correspond à une réponse spontanée du corps mis en situation. La maitrise technique s’acquiert grâce à l’intelligence motrice qui améliore la précision et le rendement du geste au cours des répétitions. La perspicacité tactique enfin s’appuie sur l’expérience de la situation de jeu ou de compétition.

L’adaptation physiologique à la charge

L’organisme dimensionne ses capacités en force, en endurance, etc, en vue de faire face à la charge à laquelle il est soumis à l’entraînement et en compétition. Améliorer la capacité de l’organisme repousse les limites d’accroissement de la force, de l’endurance, accélère les mécanismes de récupération, permet à l’organisme de tenir face à une valeur de consigne en charge plus élevée (athlétisme, triathlon, natation, cyclisme, etc).

L’apprentissage du geste

L’organisme apprend par essais et erreurs à réaliser un geste complexe dans un environnement fixé par le règlement de la discipline sportive ; améliorer l’intégration du modèle gestuel permet d’accéder à un meilleur niveau formel (gymnastique, patinage artistique, compétitions techniques d’arts martiaux, ski acrobatique, etc).

L’intelligence tactique

L’organisme apprend à mobiliser ses ressources techniques en temps et lieu, pour dominer son ou ses adversaires (contrer une attaque, esquiver, feinter, etc) en situation (de jeu, d’opposition, etc). Améliorer l’intelligence situationnelle décuple la capacité à extraire des informations et développer des routines, ainsi que des inférences à partir des expériences passées.

La progression physiologique s’appuie sur les capacités naturelles de l’organisme

Ainsi les procédés d’adaptation de l’organisme puisent dans ses ressources intrinsèques : capacité d’adaptation physiologique à la charge, capacité d’apprentissage des schémas moteurs, capacité d’induction à partir des données de l’expérience. L’entraînement exploite les capacités potentielles d’un organisme (en adaptation, en apprentissage, en inférence) et les actualise au service d’une performance sportive spécifique. Un sportif de haut niveau est sous cet angle un être « réalisé », qui connaît les limites de ses possibilités. L’objectif de l’entraînement est d’amener un individu à convertir ses capacités virtuelles en compétences réelles, mesurées grâce à la progression des performances.

La réserve de progression physiologique est une limite

Les technologies de l’entraînement comprennent donc la gestion de la charge d’effort (volume, intensité, fractionnement), la diététique (filières énergétiques, capacité de résistance aux radicaux libres, etc), l’utilisation de l’environnement physique (gaz respirés, gravité, température, etc). L’ensemble des paramètres biologiques qui contribuent à la régulation de l’organisme vis-à-vis de la consigne en charge, sont capables de changement, jusqu’au point qui correspond précisément à l’épuisement de la capacité d’adaptation de l’organisme, c’est-à-dire de sa réserve de progression. Un athlète qui stagne, qui ne parvient pas à sauter plus haut, à démarrer plus vite, à soulever plus lourd, qui se blesse ou tombe malade dans une épreuve d’ultra endurance, a atteint ses limites.

La gestion de la charge d’effort pointe chacune des variables physiologiques ajustables.

Les procédés d’entraînement isolent les paramètres afin de les solliciter spécifiquement ; ce sont des techniques analytiques, qui reproduisent des aspects partiels de la charge de l’effort : le principe de l’entraînement correspond à l’application d’un modèle de performance, et ses exercices spécifiques, à des simulations des conditions de performance. Le travail en séries fractionnées, en musculation, comme en athlétisme, correspond à ce découpage analytique de l’entraînement qui vient se superposer à la cartographie des variables biologiques. Lorsqu’ une variable a épuisé sa capacité d’évolution sous la charge, par exemple lorsque la capacité de production de globules rouges a atteint son maximum pour une personne donnée, l’organisme a atteint une limite dans sa capacité de progression de la consommation maximale d’02.

L’art de l’entraînement est de mettre en scène les contraintes de la performance, l’organisme est la boite noire

Les procédés d’optimisation de la capacité de l’organisme n’agissent pas en manipulant un paramètre biologique à l’intérieur de son domaine d’évolution, mais en modifiant le domaine lui-même. Par exemple, l’entraînement en hypoxie mobilise la capacité de l’organisme à « s’habituer » à l’hypoxie, qui est un aspect de la charge subie par l’organisme en situation de performance en endurance. Il s’agit d’une technique d’entraînement. En revanche, l’utilisation d’EPO modifie la capacité de production de globules rouges par l’organisme, sous la pression de l’induction hormonale. A la différence de l’hypoxie, qui est en tant que telle un simulacre de la situation d’entraînement, l’administration d’EPO ne simule pas un contexte de performance, ne reproduit pas un effet de la charge d’effort sur l’organisme : l’EPO modifie radicalement la capacité de réponse de l’organisme à la charge de l’entraînement. L’entraînement provoque une réponse de l’organisme à l’effort, au prix d’une réduction de sa capacité de réserve d’adaptation, quand la stimulation hormonale décuple la capacité de réponse de l’organisme sans l’expérience d’un stimulus pour produire cette réponse.

La stimulation pharmacologique de l’organisme diffère des effets de l’entraînement

La stimulation pharmacologique se caractérise par deux conditions, qui la différencient des techniques d’entraînement :

  • Ce procédé d’amélioration de la performance n’utilise pas les conditions de production de la performance, réelles (comme la course) ou modélisées (comme l’hypoxie), comme support de la progression.
  • Ce procédé d’amélioration de la performance produit une augmentation de la capacité de réponse de l’organisme à l’exercice au lieu de puiser dans la réserve de cette capacité de progression.

La nutrition influence la réserve de progression sans manipuler l’équilibre de l’organisme

La nourriture apporte à l’organisme les moyens énergétiques et structurels de sa survie : le corps est fait de ces protéines et acides gras ingérés par l’alimentation, il produit ses efforts grâce aux glucides et lipides consommés. L’ensemble des fonctions corporelles dépend de l’alimentation en quantité et en qualité. Les fonctions de production d’énergie à l’effort, bref ou prolongé, la résistance à la toxicité des radicaux libres produits par la consommation d’O2, la régulation de l’hyperthermie produite à l’effort, de l’acidose produite par la contraction musculaire en hypoxie, dépendent notamment de l’alimentation. Celle-ci va donc influencer la réponse de l’organisme à la charge de l’entraînement : hypoglycémie plus ou moins retardée, souplesse des globules rouges, équilibre acido-basique.

Elle contribue également à la mobilisation du potentiel réserve au titre de contexte : une sortie à jeun « reproduit » les conditions d’une course de durée supérieure à 90 mn par la pauvreté des ressources en glucose, une alimentation alcaline accélère le retour à l’équilibre acido basique de l’organisme après l’exercice, une prise de boisson régulière évite le risque de déshydratation et d’hyperthermie, et l’apport couplé d’eau et de Na évite le risque d’hyponatrémie, de crampes, d’épuisement.

L’alimentation apporte ou pas les éléments nécessaires à l’organisme pour faire face aux situations de vie : grossesse, marathon, croissance, infections virales, climat glacé ou tropical, etc. L’approfondissement des connaissances en matière de nutrition et de physiologie permettent d’affiner le diagnostic des besoins nutritionnels des sportifs, des diabétiques, des femmes enceintes et des personnes âgées, jusqu’à faire de l’alimentation une technologie de la santé et de la performance. Pour autant, les nutriments ne sont que des ressources qui remplissent des fonctions physiologiques définies par l’organisme. Celui-ci reste le système régulateur qui fixe les quantités utiles et rejette l’excédent, qui organise le métabolisme cellulaire, croissance, multiplication, lyse, en utilisant au mieux les entrées métaboliques. Ainsi l’alimentation ne modifie pas l’équilibre endocrinien de l’organisme, elle n’est qu’un moyen annexe à l’entraînement d’optimisation de la réserve de progression innée du corps.

L’alimentation, et particulièrement la supplémentation nutritionnelle peut ressortir des technologies de l’adaptation à l’exercice, de la sortie à jeun à la supplémentation en anti oxydants, en améliorant la réponse de l’organisme à la charge ; pour autant, elle n’augmente pas la capacité de la réserve de progression de l’organisme.

Stimulation pharmacologique et reprogrammation de la réserve de progression

Les agents physiologiques qui modifient le fonctionnement du système régulateur sont les hormones, messagers qui transmettent par voie sanguine des instructions depuis un centre de commande (cerveau, rein), vers des organes intermédiaires de transmission, et/ou des cellules cibles finales dont les fonctions élémentaires : production, multiplication, communication, détoxification, etc seront modifiées par les messagers hormonaux. Le « système organisme » règle les valeurs de consigne des différentes fonctions cellulaires à partir de données génétiques, amendées par les conditions de vie habituelles et exceptionnelles, qui réclament des modifications dans les valeurs des variables biologiques ajustables pour maintenir les variables vitales dans les limites d’une fourchette de valeurs (02, glucose, t°, pH), compatibles avec la survie.

Altération de la réponse de l’organisme à la charge par neutralisation des systèmes d’alerte

Il existe des agents pharmacologiques, non naturellement présents dans l’organisme, mais susceptibles d’entraîner des effets sur l’organisme, qui modifient non pas la capacité réelle de progression de variables biologiques, mais la perception de la douleur et de la fatigue, systèmes d’alerte de l’organisme en danger de « surchauffe ». Les stimulants, les antalgiques, les anti-inflammatoires empêchent les réactions d’inhibition de l’action normalement mises en œuvre par un organisme conscient d’atteindre la « zone rouge ». Ces agents produisent une amélioration de la performance en empiétant sur la zone d’alerte, ce qui autorise la persistance de l’action en situation extrême mais au péril de la survie et de la santé de l’organisme. Ils ne sont pas aussi puissants que les agents hormonaux en ce sens qu’ils ne modifient pas réellement la capacité de réserve d’adaptation à la charge, mais permettent une augmentation de la tolérance à la charge, pendant la durée de leur action. A la différence de la charge d’entraînement, qui a un effet différé sur la réponse de l’organisme à l’exercice, sous forme de surcompensation après la phase de récupération, l’agent stimulant n’a qu’un effet immédiat, sur la charge elle-même, car il ne mobilise pas les mécanismes régulateurs de l’organisme à l’effort.

Repousser les limites de la tolérance à la charge consiste à soumettre les systèmes d’alerte, comme la douleur et la fatigue, à la même contrainte d’adaptation que les variables physiologiques d’ajustement à l’effort. L’entraînement s’appuie sur la boite noire des capacités intrinsèques de l’organisme à changer et à progresser sous l’effet d’une charge d’effort. En revanche, la neutralisation médicamenteuse de la douleur ne s’appuie que sur une manipulation pharmacologique, qui consiste à éteindre les récepteurs de la douleur, et ne s’apparente en rien à la réponse spontanée et programmée génétiquement de l’organisme, que constitue l’adaptation à l’exercice.

Le respect de la boite noire est la signature de l’entraînement qui le différencie de la manipulation

Aussi artificieux que soient les procédés et techniques développés aujourd’hui par l’entraînement sportif, ils ont en commun de s’appuyer sur la « boite noire » de l’organisme pour organiser sa réponse aux propositions que constituent les charges d’effort à l’entraînement. Toute intervention directe sur cette boite, soit en neutralisant les mécanismes de réponse à la charge, comme l’utilisation d’antalgiques, soit en modifiant le programme épigénétique de l’organisme à l’aide d’hormones et de susbstances interférant avec l’expression génique, modifie radicalement les règles du jeu de la progression sportive.

Le fair play suppose la mobilisation des ressources intrinsèques de l’organisme face aux stimulations que représentent l’effort. Sous le régime de l’entraînement, l’organisme réalise ses capacités dans le respect de ses limites naturelles ; sous le régime de la reprogrammation pharmaco-épigénétique, l’organisme expérimente des capacités nouvelles dans l’ignorance des conséquences du nouvel ordre physiologique auquel il est soumis.

Il est important de différencier les technologies de l’adaptation par l’entraînement qui parviennent à mobiliser au mieux les capacités du sportif en vue de les actualiser sous forme de performances, des techniques de sur/dé-naturation, qui modifient le terrain sur lequel s’effectuent les procédés adaptatifs. La différence des conséquences sur la santé des individus entre ces deux approches est incommensurable.

Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur

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