Le stress peut être perçu comme une récompense
L’addiction spécifique à l’exercice doit être comprise à la lumière de la
théorie synaptique de la dépendance psychologique. Le stress induit par
l’exercice, en activant la voie hypothalamo-hypophyso-surrénalienne, déclenche
une sécrétion de cortisol, qui facilite et amplifie la sécrétion dopaminergique[10],[11]. Celle-ci fait « signe », par le circuit méso-limbique, et force l’interprétation
par le cerveau de l’agent stresseur comme étant une source de récompense[12].
Thierry et al[13] ont montré qu’en situation de stress,
la voie dopaminergique mésocorticale était spécifiquement et fortement
sollicitée. L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, le cortex préfrontal
médian et l’aire tegmentale ventrale forment une boucle dont la fonction est de
réguler la production excessive de cortisol en exerçant un contrôle négatif sur
l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Il semble que l’amplitude de la réponse
dopaminergique mésocorticale soit proportionnelle à l’effort sollicité par le
circuit mésocortical en période de stress pour conserver ou rétablir
l’homéostasie.
La recherche de la récompense crée des automatismes…
Les mécanismes d’automatisation de la décision prennent progressivement le
relais de la décision planifiée[14], chez les personnes
sujettes au développement du processus addictif, qui ont la
surprise de se découvrir progressivement « accro » aux sorties dures,
aux séances extrêmes, dont elles ne retirent pourtant pas de plaisir
particulier[15] ! Le seuil de sécrétion basale dopaminergique s’élevant au fur et à mesure que sa production est sollicitée[16], l’agent stresseur doit fournir une « charge
inductive » de plus en plus élevée pour produire l’effet de récompense,
par augmentation de la sécrétion de dopamine au dessus-du seuil basal.
Circuit du stress tiré de et remerciements à Koob et Le Moal
…que la personne interprète comme une motivation
Le manque dans l’addiction est lié à un taux de sécrétion dopaminergique inférieur au seuil basal. Cette hyposécrétion se produit lorsqu’une récompense anticipée ne se réalise pas, sous l’influence de l’hypothalamus. Ce taux est théoriquement repérable par des techniques neurobiologiques, puisqu’il se traduirait par une baisse globale de
libération de dopamine[17]. Pour qu’il y ait satisfaction, ou tout au moins pour que la sensation désagréable d’un besoin disparaisse, le système doit au moins atteindre et éventuellement dépasser le seuil basal. Qui plus est, tout comportement entraînant le système trop au-dessus du seuil aura pour conséquence de l’augmenter, puisqu’il sera pris en compte dans l’évaluation du futur seuil. Par la suite, l’obtention de nouvelles
satisfactions nécessitera un effort plus important.
Le stress agit comme un leurre de récompense
Chez une minorité de personnes, le stress cesse d’être un stimulus anormal que le corps vise à neutraliser, mais devient au contraire le stimulus recherché pour lui-même, grâce à son influence sur la sécrétion dopaminergique, et sur le seuil basal sécrétoire. L’exercice n’est plus pratiqué dans un objectif de maîtrise, qui annule la réaction de stress, mais c’est l’au-delà de la maîtrise qui est recherché pour son effet stresseur, car c’est l’effet stresseur qui déclenche la sécrétion de dopamine, via les glucocorticoïdes.
Le stress peut être considéré chez certaines personnes présentant un profil génétique[21], des traits de personnalité[22] et une histoire individuelle marquée par des antécédents traumatiques[23], comme un inducteur dopaminergique, stimulant un intérêt pour l’action stressante, par l’effet d’un leurre endocrinien ! Ce comportement contre-productif conduit à instaurer durablement un état de stress dont la pérennisation induit de nombreux effets dommageables pour l’organisme (syndrome métabolique, hypertension, fatigue chronique, dépression…).
La sensibilité initiale particulière de certains sujets ne joue que sur la phase d’amorçage ; en effet, une fois le circuit automatisé mis en place, la volonté, le désir, la raison, n’ont plus de prise sur le comportement de la personne21. Elle subit un mécanisme d’emprise, qui échappe à toute élaboration symbolique, car il est de nature physiologique, c’est l’addiction au stress.
Ce phénomène permet de rendre compte de comportements visant à accroître la dureté des séances d’entraînement, à supporter l’exercice dans des conditions extrêmes de douleurs et de blessures, malgré la conscience du danger à persévérer dans ce contexte. Il rend compte également des comportements de prise de risque croissante, en sport extrême, mais également en situation de jeu d’argent, de jeu virtuel, de combat. Un sentiment d’obligation impérieuse guide les sujets, comme sous l’effet d’une suggestion hypnotique, mais qui s’inscrit dans le « disque dur » du matériel cérébral.
Le mécanisme neuronal sous-jacent au processus addictif éclaire le passage de comportements ordinaires de la vie courante (jeux, sport, sexe, alimentation…) vers un comportement pathologique, selon une dynamique bio-psycho-sociale, qui met en jeu aussi bien les propensions génétiques que les empreintes culturelles.
De nombreuses études doivent encore rendre compte de la sensibilité particulière de certaines personnes, des profils génétiques, de la relation entre trait de personnalité et caractéristiques neuro-physiologiques, comme le seuil basal de sécrétion dopaminergique. Le rôle du stress doit également donner lieu à des éclaircissements sur l’impact direct du cortisol sur les structures cérébrales, mais aussi sur l’impact des catécholamines, l’impact cérébral des facteurs de l’inflammation produits par l’exercice. Le modèle de l’addiction au stress devrait néanmoins permettre, en tout état de cause, de détecter les profils à risque par leurs traits de personnalité, voire à terme par leur sensibilité biologique, et de guider les entraîneurs dans la reconnaissance sur le terrain les personnes à risque. Sans doute une pédagogie préventive du processus addictif portera-t-elle l’attention du sportif sur les aspects techniques (maîtrise, coordination) et sociaux (convivialité, règles, gestion des conflits), de la pratique, plutôt que de la centrer sur la recherche de sensation et d’émotion, qui sont les vecteurs de valorisation du sport dominants actuellement dans les media, et la voie finale commune du déclenchement du processus addictif.
En conclusion, tant que la personne vit bien son attachement à sa pratique, rien ne lui fera démordre qu’il s’agit d’une passion qui donne sens et relief à son existence, et non d’une addiction au stress. Famille et amis ne comprennent pas… C’est parfois une blessure, un arrêt forcé, qui rompt le charme et allège la pression psychique, permettant à la personne de prendre de la distance avec “sa passion”.
10. Koob GF (2008) A role for brain stress systems in addiction. Neuron 59:11–34
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