La médicalisation contre l’hygiène

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L’Ethique médicale appartient au champ du politique

Elle se distingue des théories du comportement qui relèvent de la psychologie, c’est-à-dire de la « nature humaine ».

L’Ethique relève de la sphère du Politique, c’est à dire des décisions qui impliquent la vie de la Cité, le bien commun.

Le Politique est un espace collectif d’élaboration et de choix des normes et des valeurs qui s’appliquent dans le champ sociétal.

Le Politique est distinct du Spirituel et du Religieux qui puisent leur source dans la révélation, la foi, la métaphysique, et dont les normes et valeurs sont au fondement, à l’origine, en deçà du champ sociétal. Ils communiquent sur les modes de l’autorité et de l’adhésion.

Le Politique admet le conflit, la violence, l’influence, l’autorité, la manipulation, et le discours rationnel comme modèles de négociation des valeurs et des normes.

Ces modèles de négociation politiques sont des stratégies elles-mêmes significatives et conséquentes des valeurs implicites qui ont conduit à leur application.

L’Ethique est un modèle de négociation rationnelle de l’élaboration et du choix des valeurs et des normes qui s’appliquent dans le champ sociétal. Elle s’intéresse à l’analyse des moyens (stratégies) et des fins (normes) comme expressions des valeurs et recherche des valeurs.

Problèmes éthiques d’une stratégie de réduction des risques sanitaires par la médicalisation

Il règne une confusion fondamentale entre l’inégalité d’accès au système médical et l’inégalité devant la santé.

Il existe deux modes de production de la santé :

  • Un mode autonome : l’hygiène de vie.
  • Un mode hétéronome : l’institution de soins.

L’inégalité devant la santé est le produit d’une inégalité des conditions de vie. L’hygiène est l’ensemble des conduites et des règles que les gens observent par eux-mêmes pour conserver ou recouvrer la santé. Elle s’élargit à l’ensemble des dispositifs sociaux, juridiques, économiques, réglementaires qui garantissent à la population le moyen de conserver la santé.

« Etre en bonne santé c’est avoir la capacité personnelle autonome de maîtriser ses conditions de vie, de s’adapter aux modifications accidentelles de son milieu et de refuser éventuellement des environnements intolérables [1]».

Les institutions soignantes produisent la santé comme une marchandise, transposable en termes de prestations de service, au sein d’une organisation dont la visée première est la gouvernance budgétaire.

Les conditions dans lesquelles l’institution de soin serait au service de la capacité autonome des individus et des groupes de produire leur santé ne sont pas réalisées. L’institution de soin n’intervient pas dans le domaine de l’hygiène et de l’environnement, au stade de la préservation de la santé, mais en aval, sur l’organisme qui a perdu la santé, et qu’il s’agit de « réparer ». La maladie organique ou mentale est gérée comme une entité extérieure à l’individu et à sa relation au milieu qui vient perturber son fonctionnement vital.

L’inflation soignante désigne comme dérèglement un refus (du corps ou de l’esprit) d’adaptation à un environnement insupportable. Le patient est l’objet d’un soupçon fondamental : l’inadaptabilité, qui le désigne comme surplus, ou fautif.

La « médicalisation » du mal être manifeste et aggrave la perte d’autonomie, perte de maîtrise sur le temps et les conditions de vie : « l’institution soignante est l’alibi d’une société pathogène[2] ». L’institution soignante, en biologisant et en naturalisant les dysfonctions, dissimule le domaine dont les conditions de vie relèvent en fait : le Politique.

Ethique des soignants et devoir d’ingérence politique.

Les soignants s’inscrivent dans une fonction de service et un cadre opérationnel de compétences et de connaissances.

Les soignants ont obligation de répondre et de porter secours aux patients qui expriment une demande. Ils agissent dans un cadre déontologique spécifié. Ils y répondent selon l’ordre du savoir et des techniques qui leur ont été enseignées, et pour l’usage desquels ils disposent d’un diplôme agréé. Cette organisation du savoir définit a priori le type d’interactions possibles techniquement entre le soignant et son patient (méthodologie, nosologie).

Le cadre opérationnel de la relation de soins exclut a priori l’intervention du soignant sur l’environnement comme vecteur des pathologies.

Dans le même temps le soignant a une responsabilité éthique vis-à-vis du patient dans la mise en place des conditions préalables à son hygiène de vie.

Le soignant se trouve confronté à un dilemme : celui du devoir d’ingérence dans le champ politique au nom du rétablissement de l’autonomie du patient, auquel on oppose le secret professionnel. La consultation individuelle devient l’argument propre à contenir le soignant dans la sphère privée, et à l’empêcher d’exprimer ses compétences dans la sphère collective.

Le devoir d’ingérence des soignants vis-à-vis des patients implique pour eux la nécessité de se doter de moyens économiques et d’une légitimité institutionnelle permettant l’expression d’une compétence dans le cadre de la protection des personnes au niveau de la santé publique.

Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur


[1] René Dubos, l’homme et l’adaptation au milieu, Bibliothèque Payot, 1973

[2] Charles Dayant, J’étais médecin à la santé, 1974