Philosophie du sport

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Les valeurs du sport

Ce qui frappe dans l’abondance des théories traitant des valeurs du sport, c’est justement leur hétérogénéité.

Mise en scène de la violence ritualisée selon Norbert Elias[1], le sport permettrait la spectularisation du conflit armé, et sa résolution symbolique.

Métaphore de la société démocratique libérale qui produit de l’inégalité de fait sur la base d’une égalité de principe par le simple déroulement du processus compétitif selon Ehrenberg[2], la mise en scène de l’égalité démocratique serait au fondement de la dévotion pour la compétition sportive.

Saga de l’excellence, c’est la fascination pour l’exceptionnalité, la séduction de la performance athlétique et l’esthétique du défi corporel, qui d’après Lipovestky[3] subjugue les foules. La compétition serait un art total, un spectacle où le dépassement des limites s’accomplit dans la perfection esthétique des comportements. L’intérêt pour le sport relèverait alors du culte du corps, par la mise en valeur optimale du capital physique, d’un hédonisme roi, qui révèle la toute puissance d’un ego autoconstructeur. Il énonce pour le pratiquant le déplacement d’une vision éthique du sport qui par l’ascèse opère une « musculation morale de l’homme » (Coubertin), à une vision psychologique qui est de l’ordre d’une révélation de soi-même pour soi : forme, santé, équilibre, « l’egobuilding est un productivisme narcissique » qui marque l’intériorisation des impératifs d’autonomie : « Jamais dans les sociétés modernes on a aussi peu prescrit les devoirs de l’individu envers lui-même, jamais celui-ci n’a autant travaillé au perfectionnement fonctionnel de son propre corps » (Le crépuscule du devoir).

Les nombreux travaux de sociologues du sport (Pociello, Vigarello, pour ne citer qu’eux) établissent des rapports de signification entre les pratiques sportives et les styles de vie, c’est à dire les valeurs incorporées dans les pratiques, telles que Bourdieu les énonce dans son concept d’habitus. Aux pratiques en force des sports populaires s’opposent l’euphémisation et le style pour les sports des classes favorisées. A l’affrontement des sports de contact s’oppose l’harmonie de la glisse qui épouse un mouvement (surf), une forme (urban skating).

Les pratiques sportives se donnent à lire comme métaphores de « la vie », ses règles, sa « philosophie », toute performance renvoie son pratiquant comme son spectateur à une vision du monde et de lui-même. Les codes immanents aux pratiques sont autant d’images poétiques livrées à une herméneutique kaléidoscopique, où chacun peut trouver une légitimation, un sens, une référence, dans l’ordre du monde. La polysémie sportive, que n’épuise ni l’hétérogénéité des pratiques, ni celle des interprétations, n’a qu’un dénominateur commun : le mouvement. Le génie du corps est magnifié aujourd’hui comme le fut l’esprit à travers la prose, la poésie, la philosophie, pendant deux mille ans.

C’est le mouvement, c’est l’action physique qui donne aujourd’hui le mieux à lire ce qu’est l’homme, réconcilié avec sa/la nature. La ritualisation du mouvement, le sport, est donc un récit mythique incorporé qui énonce sous différentes modalités l’homme dans son interaction avec le monde. Appartenant au monde vivant, au monde du vivant, essentiellement corporé, le sport, producteur d’émotion, de sentiment, à mi-chemin entre l’esprit et le corps a donc tracé la voie d’une réintégration au monde par la réincorporation du génie humain.

Le sport fonctionne comme un mythe. Il rattache, dans la dimension du récit, une expérience imaginaire à une structuration psychique de l’ordre du monde. « Il organise des structures dans l’appareil psychique de celui qui le reçoit, et de ce fait, il impose des réorganisations en cascade[4]». Le récit incorporé à la pratique sportive, diffusé mondialement par l’universalité des pratiques corporelles est donc le lieu privilégié d’une production de sens pour tous ceux qui s’y reconnaissent, et un objet philosophique majeur pour les penseurs.

Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur


[1] Norbert Elias, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, 1994

[2] Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Calman-Lévy

[3] Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, Folio, 1994

[4] Tobie Nathan, L’Influence qui guérit