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Ce texte propose quelques éléments de réflexion sur la prévention du dopage, et sur les risques éthiques de son inscription dans une politique de santé publique.
A l’origine de la santé publique
Il y a convergence de valeurs collectives :
Etat Providence : droit à la santé.
Epidémiologie et définition du risque : bonnes pratiques de santé.
Individualisme : Ethique du bien-être.
Etat Providence
Etat démocratique :
ÿDevoir de réparation des accidents de la vie;
ÿDevoir de protection vis-à-vis des risques sociaux;
ÿDevoir de gestion vis-à-vis des comportements à risque;
ÿEthique de la responsabilité.
Epidémiologie
ÿDéveloppement de l’usage des statistiques en médecine aux 19ème et 20ème siècles;
ÿRelation entre un danger spécifié et un niveau de probabilité : création du concept de risque.
ÿCorrélation significative entre un danger et un facteur (environnemental, comportemental…) : facteur de risque, comportement à risque.
ÿIdentification de populations dites « à risques »
ÿDésignation d’individus dits « à risque ».
L’individualisme méthodologique
ÿ« L’individu est un agent atomisé et rationnel dont l’existence et les intérêts sont antérieurs à ceux de la société » (Petersen et Lupton).
ÿSanté : métaphore du contrôle de soi, de l’autodiscipline et du pouvoir de la volonté : homo médicus.
ÿEthique du bien-être : l’être humain est sa propre finalité.
ÿLogique utilitariste : maximisation du rendement des agirs.
La santé
ÿLa santé publique est d’abord affaire d’éthique et de valeurs :
« La santé, qu’elle soit définie comme un état, un capital, un bien ou une norme, est d’abord une valeur, qu’il faut défendre contre d’autres valeurs, notamment des valeurs économiques telles que la productivité et la compétitivité » (Guttman).
Société du risque
Le passage du statut de danger à celui de risque relève d’une construction scientifique et socio-culturelle :
Production de jugements moraux sur la valeur des individus et des groupes sociaux fondés sur leur attitude vis-à-vis de la santé.
Moralisation du risque : forme symbolique du désordre, et la santé publique incarne l’ordre social et politique (Hours et Sélim).
La Santé Publique
Force d’observation : elle met au point et développe ses instruments de mesure;
Force d’intervention : elle projette de contrôler les éléments nocifs;
Force de proposition : elle promeut une culture, des attitudes, des comportements, dans l’espoir, offert aux populations, d’une vie meilleure et plus longue » (Lecorps et Paturet).
Approche technocratique en santé publique
Approche centrée sur la stratégie :
Approche séquentielle en 5 étapes dictée par la recherche de l’intérêt général et de l’efficacité optimale (éthique téléologique):
1/Identification d’un problème.
2/Développement du programme d’action.
3/Mise en œuvre.
4/Evaluation.
5/Terminaison du programme.
Identification d’un problème de santé publique
Construction scientifique, culturelle, politique en 3 étapes :
1/Découverte par des professionnels d’un nouveau problème de santé (Dr Pierre Dumas 1964).
2/Entreprise de morale (médiatisation, lobbying).
3/Institutionnalisation de la nouvelle définition (lois, réglementations) .
En phase d’institutionnalisation, les politiques publiques sont mises en œuvre si le problème est politisé (débat public, autorité publique légitime).
Exemple du dopage : évolution de la problématique du doping (tricherie) vers le dopage maladie (parallèle avec addiction, toxicomanie, dépendance).
Identification d’un problème de santé publique : le dopage
Il y a un défaut de construction épidémiologique initiale du problème :
Absence d’études scientifiques permettant de définir un niveau de risque;
Création médiatique et politique du problème initial.
La prévention s’appliqua à l’aléa (danger*probabilité=risque);
La précaution s’applique à une situation d’incertitude (connaissances fragmentaires): cas du dopage.
Les mesures de précaution doivent être « proportionnées » et entraîner des coûts « économiquement supportables ».
Comment les dimensionner a priori?
Rôle des médias:
Les médias s’estiment investis de la mission de révéler à l’opinion des problèmes « cachés » par les sources du pouvoir.
La mise en scène des criminels (les dopés) et des victimes (Basson) est favorable aux ventes et à l’audience.
Les sujets qui touchent le plus de monde sont privilégiés par les médias, le sport est un sujet de société.
Développement d’une culture de l’événement, de la crise, du scandale, et de l’urgence, « caractérisée par la recherche de l’indignation morale et la désignation de coupables »(M.Loriol).
Développement d’un programme d’action contre le dopage
Conflit sur l’attribution des causes du dopage et les propositions d’actions en fonction du niveau d’observation :
Sociologique : cause structurelle : le système sportif (profit et performance).
Santé publique : cause culturelle :défaut d’éducation à la santé.
Médecine clinique : cause psychologique : fragilité individuelle.
Incertitudes quantitatives liées au manque de séries statistiques
Incertitudes qualitatives sur les facteurs de risques décisifs
Incertitudes liées à la présence combinée de facteurs de risques multiples et hétérogènes
Difficulté des pouvoirs publics à développer un programme d’action cohérent, rationnel, argumenté (ex : loi Buffet et déclaration médicale obligatoire).
Contraintes médiatiques fortes sur les pouvoirs publics pour la mise en place d’une politique de santé publique.
Incertitude sur le niveau de pratique de dopage, ainsi que le risque sanitaire associé.
Mesures de précaution et politique de prévention (coercitive et éducative) en situation d’incertitude sur les besoins réels, et les moyens à mettre en œuvre au meilleur coût.
International : AMA (ratification par UNESCO, organisme de droit public).
Français :
Volet répressif : AFLD : contrôles LNDD, contrôles AUT, recherche sur moyens de détection.
Volet préventif : MJSVA : suivi médical
fédéral, AMPD, N° Vert Ecoute Dopage, DRJS.
La Prévention
Le Modèle de la contrainte (JP Dozon) : au départ enfermement en période d’épidémie, évolution progressive vers les procédures de contrôles (visite prénuptiale), obligations (déclaration obligatoire maladies, vaccins), interdits (limitation de vitesse) et sanctions. Application à la répression du dopage (loi 1965).
Le modèle contractuel : complémentarité entre droit à la santé (garanti par la puissance publique) et devoir de santé (citoyen responsable de sa santé). Il s’appuie sur l’épidémiologie qui articule l’objectivation des risques sanitaires et la subjectivisation de la responsabilité vis-à-vis de la santé (patient-sentinelle). Il se diffuse par l’éducation à la santé.
Homo médicus
Les interventions de santé publique supposent un citoyen qui :
A une compréhension claire de la maladie à prévenir, de l’efficacité de l’approche préventive;
Adhère à une orientation temporelle axée sur le futur et un désir de conserver le contrôle sur ce futur;
Perçoit qu’il a une réelle liberté de choix;
Est d’accord pour discuter de façon ouverte
des conséquences de ses choix.(Koening).
Evaluation de la prévention en santé publique
L’évaluation de la prévention répond d’une rationalité instrumentale : maximisation des retombées pour les investissements consentis.
Les critères retenus pour l’évaluation d’une action de santé publique énoncent les valeurs implicites des administrateurs qui décident l’attribution des ressources.
Coût économique, coût social (stigmatisation), évaluation constructive et/ou sommative…
Critique fonctionnelle de la santé publique
Les limites de l’éducation pour la santé :
La rationalité instrumentale ne guide pas seule les choix comportementaux (ex : tabac, soleil).
Mécanismes de défense (réduction de la dissonance cognitive).
Efficacité des messages « médiateur dépendante » (leaders d’opinion).
Voies non explorées à ce jour :
Politique de réduction des risques de dopage par l’adoption de « bonnes pratiques sportives » :
Anticipation :mise en place d’un processus de veille et de diffusion des bonnes pratiques
Définition de standards propres au milieu sportif : normes d’entraînement, de compétitions, de sécurité, etc…
Gestion de la production sportive: définition
d’objectifs, de mesures, d’audits, de suivi de réalisation, etc…
Evaluation éthique de la Prévention
L’éducation à la santé est critiquée pour trop mettre l’accent sur les comportements individuels (Williams, Good) :
Ne voir dans le dopage qu’un problème individuel (théorie des brebis galeuses);
Faire du dopage la conséquence d’une négligence ou d’une intention coupable (théorie de la responsabilité);
Disqualifier les dopés « contraints » comme incapables de faire face aux contraintes du sport (dogme de la préparation physique et mentale).
L’éducation à la santé fait usage des trois formes d’influence qui contredisent le respect de l’autonomie de la personne (Beauchamp et Childress):
La persuasion basée sur la raison de l’interlocuteur, mais condescendante et paternaliste;
La manipulation de l’information (rétention, exagération, sélection biaisée);
La coercition par la menace de sanctions.
Evaluation éthique de la politique technocratique en santé publique
Rationalité instrumentale qui mesure tout à l’aune du meilleur rapport coût-bénéfice.
Abandon des responsabilités en vue des seules finalités, et restriction du rôle de l’état aux façons et moyens.
Préférence de l’approche centrée sur la stratégie (utilitarisme) à l’approche centrée sur les valeurs.
La santé de référence est définie selon des critères objectifs :
Normalité par l’insertion dans les valeurs moyennes définies pour des paramètres biologiques;
Normalité par l’adoption de comportement à niveau de risque réduit;
Normalité par l’appartenance à un groupe à probabilité élevée de longévité prolongée.
Négation implicite du vécu subjectif dans l’attribution des caractères propres à la santé.
Evaluation éthique de la Prévention
Procès de normalisation (M.Foucault):
« La santé inscrit les comportements à risque dans l’ordre de la rectitude morale » (M.Foucault).
Intégration de la sphère privée au monde de la santé publique.
La Santé Publique transforme la maladie en problème économique et politique et justifie le contrôle et l’intervention collective.
Evaluation éthique de la prévention du dopage
Inversion du processus en santé publique qui va du médical (risque objectif), au normatif (bonnes pratiques) :
Stigmatisation première d’un comportement immoral, puis évolution vers la prise en compte de risques sanitaires.
Instrumentalisation explicite de la bienfaisance au service de la norme morale.
Rationalités divergentes à la norme de santé non prises en compte en intervention de prévention :
Liberté du sujet à disposer de son corps;
Rationalisation du dopage sous assistance médicale;
Dénonciation de refus d’ assistance à personne en danger (sportif de haut niveau);
Défense des valeurs du milieu sportif de compétition:
prise de risque maximale en vue d’une maximisation des profits économiques et
symboliques.
Evaluation de l’éthique de la Prévention
Procès de civilisation (N.Elias): conquête de l’autonomie individuelle par les développements des connaissances scientifiques et les avancées démocratiques. Mais création corrélative d’un idéal de santé inaccessible et de comportements obsessionnels et magiques en vue de réaliser cet idéal.
« La santé recherchée pour elle-même, ou pour les emplois et les profits
qu’elle peut générer, conduit à une forme de folie personnelle et sociale. On
ne sera jamais assez sécurisé, on n’en aura jamais assez. Nous dépenserons trop
pour la santé, nous serons dans un constant état d’anxiété face à la moralité
et, sans limites nous serons distraits d’une réflexion portant sur des buts et
les finalités d’une vie bonne plus importants encore » (Callahan).
Evaluation éthique de la Santé publique
Entreprise de libération du joug des déterminismes :
biologiques;
Sociaux : situations d’appartenance, de communautarisme, pressions du groupe à la conformité.
Cognitifs : conscience de soi et conscience politique progressent de pair (Lazarus).
Ethique de la santé publique
Dialectique de la Santé publique :
Liberté qu’ont les individus d’agir comme ils le souhaitent,
Liberté confrontée aux droits de la société de contrôler les corps individuels au nom de la santé.(Lupton)
Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur
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