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On trouve des sulfites dans de nombreux aliments, pourquoi? Partons de l’exemple de l’utilisation des conservateurs dans les crevettes: les crevettes achetées vivantes sur l’étal du poissonnier n’en contiennent pas. Celles qui sont êtétées peuvent ne pas en contenir (à vérifier néanmoins sur l’étiquette). Les autres, congelées, crues ou cuites, ont été saupoudrées de métabisulfite dès leur mise en cale ou l’extraction du bassin d’élevage. Pourquoi? Parce qu’un organisme mort se décompose et s’altère sous l’effet de multiples facteurs, aboutissant au rancissement ou à la moisissure de l’aliment, le rendant impropre à la consommation. Parmi ces mécanismes de dégradation de l’aliment, le brunissement enzymatique n’est pas le plus toxique, mais il enlaidit les fruits et légumes (pommes, pommes de terre, poires, avocat) et les crustacés par des taches noires (mélanose ou black spot) qui réduisent leur attractivité auprès des consommateurs.
Techniquement, les membranes cellulaires des crevettes mortes se rompent et l’oxygène rentre en contact avec le phénol que contiennent leurs cellules, ainsi qu’avec des enzymes polyphenol oxydases contenues dans leur céphalothorax. L’une des enzymes, la tyrosinase transforme le phénol en quinone qui se polymérise en mélanine, un produit pigmenté noir, non toxique, mais qui traduit le manque de fraicheur de l’aliment, son degré d’oxydation[1].
L’utilisation d’un anti-oxydant pour conserver un bel aspect aux crevettes est donc un enjeu commercial plutôt que sanitaire, car tôt congelée et cuite la crevette ne présente pas de risque particulier de rancissement ou de contamination. L’ajout de metabisulfite de Na par saupoudrage sur les crevettes en cale est réalisé avant la congélation ou la cuisson des crevettes. La migration de l’anti-oxydant dans la chair ne permet d’ailleurs pas son élimination totale après rinçage. D’autres additifs peuvent enfin être ajoutés lors de la congélation des crevettes pour leur commercialisation:
De l’acide borique au métabisulfite de sodium.
La conservation par le métabisulfite de Na (E224) est une amélioration par rapport à l’acide borique qui fut utilisé des années 1950 jusqu’en 1975 jusqu’à son retrait pour toxicité; “il occasionnait en effet des irritations de l’intestin et de la peau, des lésions rénales et des perte de poids ou des arrêts de croissance[3]”
Mais le bisulfite de Na qui appartient à la famille des sulfites (E220 à E228) n’est pas exempt lui-même d’effets indésirables, notamment des réactions d’allergie: crises d’asthme, chocs anaphylactiques, urticaire, nausée, diarrhée, céphalées. Par ailleurs il détruit la thiamine (vitamine B1)[4].
La directive CE 2005 prescrit la mention de sulfite sur l’étiquette des aliments pour un seuil supérieur à 10mg/l ou 10mg/kg, ce qui ne protège pas entièrement les personnes allergiques des aliments qui en contiennent à des doses inférieures au seuil. Par ailleurs la mention de la présence de sulfite n’est pas requise pour les crevettes vendues en vrac, et le cahier des charges de laquaculture biologique autorise l’utilisation de sulfites en première congélation[5]. L’attention du consommateur allergique est donc hautement requise.
Aux doses journalières acceptables, fixées par la réglementation européenne, les sulfites sont supposées sans danger pour les personnes non allergiques. Ce qui pose néanmoins deux problèmes: celui du dépassement chronique du seuil de consommation acceptable, et celui de l’interaction avec d’autres agents chimiques.
Le seuil de consommation jugé acceptable est de 0,7mg/kg. Une personne de 70 kg peut ingérer quotidiennement 49mg de sulfites maximum. Supposons que cette personne mange une portion de crevettes de 200g (20mg sulfite), ou au goûter 50 grammes de fruits secs (100mg sulfite), ou deux verres de vin rouge par jour (40mg), ou de vin blanc (50mg), ou qu’elle consomme des frites et des légumes congelés plusieurs fois par semaine, on voit que le seuil est rapidement franchi, et régulièrement dépassé si la personne consomme du vin quotidiennement ou de la nourriture surgelée. Comme le profil de toxicité des sulfites pour les personnes non allergiques est dose dépendant et individuel, certaines migraines et nausées peuvent être en relation avec une sensibilité aux sulfites.
L’interaction des sulfites avec d’autres agents chimiques, additifs alimentaires n’est pas connue actuellement, et très peu de laboratoires travaillent sur la toxicité des cocktails d’agents chimiques. On ne peut donc pas exclure l’identification future d’une toxicité aggravée par la présence d’autres facteurs chimiques.
On peut espérer que des alternatives technologiques viendront remplacer les sulfites pour la conservation des crevettes, à moins que les consommateurs n’exigent tout simplement que des crevettes vivantes, ou êtétées, ou de haute qualité de fabrication.
On trouve des sulfites dans les crevettes cuites, les fruits secs (qui ont gardé leur belle couleur d’origine), le vin, les aliments surgelés. Le moyen simple de réduire sa consommation de sulfites est de consommer des aliments certifiés “agriculture biologique” (AB).
Pour en savoir plus sur les problèmes de santé posés par la consommation de crevettes, lisez notre article sur ce sujet.
Pour en savoir plus sur les manipulations et les trucages dont nos aliments sont l’objet, nous vous conseillons la lecture de “Les aliments aujourd’hui, entre contes et contrefaçons“!
Dr Claire Condemine-Piron Présentation de l’auteur
[1] http://biochim-agro.univ-lille1.fr/brunissement/co/ch2_II_d.html
[2] http://www.fao.org/docrep/005/Y2461F/y2461f07.htm
[3] http://archimer.ifremer.fr/doc/1991/rapport-1586.pdf.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitamine_B1
[5] http://www.agrobioperigord.fr/upload/avenant_7_aquaculture.pdf p.32
[6] http://biochim-agro.univ-lille1.fr/brunissement/co/ch3_I_d_3.html